Un homme voûté, apparemment enveloppé pour sa taille et son visage quelque peu tanné et émacié, se déplaçait sans grâce dans les rues de Hammer Falls. Toutes sortes d'échoppes tenues par des unijambistes et des vieux barbus, frappées aux armes de tel ou tel autre gang de malfrats bien-portants, l'entouraient et attiraient son attention. Il lançait des regards vifs et perçants dans chaque bâtiment, et quand il avait un angle dégagé, dans les étages et aux arrières-boutiques. Il semblait chercher quelque chose, ou quelqu'un. Son œil inquisiteur était la seule chose qui semblaient vraiment animée chez lui. Son pas état machinal, et tout son corps ne se mouvait que pour avancer sa mystérieuse recherche. C'était habituellement l'attitude du mari qui cherchait sa concubine, aussi la plupart évitaient de chercher à l'aborder. Il avait l'air armé pour punir la volage compagne, et c'était après tout son problème, tant que la femme en question ne s'était pas acoquinée avec votre patron. Visiblement, certains crurent reconnaître l'époux d'une conquête de leur boss, car un petit groupe de tatoués vint se présenter à l'homme au pas rapide.
L'un était maigre mais visiblement musclé, étant torse nu ; un autre, noir de peau, avait des tatouages bigarrés qui sortaient de son col de chemise ; deux types à peu près semblables, de bonne carrure, un blond et un roux, les accompagnaient. Le rouquin s'adressa d'une voix enrouée à son camarade à tête blonde :
"Hé Vin, tu crois pas que ce gars ferait mieux de se mêler de ses affaires ?"
"Ecoute, mon gars, tu as entendu ce que mon pote Andres vint de te su-de-gérer."
"Ouais, barre ta face de là, vieille croûte."
Eddy se rapprocha du premier à avoir parlé, on eut un instant l'impression qu'il l'enveloppait dans son manteau, puis l'importun tomba d'un coup, avec une giclée de sang. Il écarta brièvement son habit pour trancher dans la peau des deux acolytes de part et d'autre. Le Black eut assez de bon sens pour se tirer à toute vitesse. Ces mecs-là ne connaissaient en rien Edwyn Toomes. Ils n'avaient aucune idée de ce qu'il avait été capable de sacrifier pour survivre. Il ne demandait qu'à vivre tranquille. Ne pas être énervé, ennuyé, utilisé par quelqu'un d'autre. Ne pas être poussé à ressentir des sentiments. Ne pas être assimilé à un système auto-broyeur. Mais hélas, sur cette terre aride, il n'existe rien de la sorte. Cultiver la terre était un sacerdoce et une peine perdue d'avance. Vivre honnêtement, c'était tout simplement impossible. Et Edwyn n'avait pas la prétention de vivre au-dessus de la masse. Lorsqu'il regardait quelqu'un de haut, ce n'était que pour faire ripaille de ses possessions. Sa survie était à ce coût. Il n'était pas assez fou pour vouloir une place au soleil. Rien n'est jamais éternel, encore moins le pouvoir. Seule la vie avait du prix, une valeur qui pouvait être conservée contre vents et marées.
Mais même son monde d'isolation devenait de plus en plus dangereux. La solitude était surévaluée. Il mourrait seul, ou détruit par des êtres de plus en plus dangereux à cause de luttes de pouvoirs dans lesquelles il n'avait rien à voir. Seule, la survie l'intéressait. Il était prêt à aller loin pour prolonger son espérance de vie. Mieux, sa nouvelle connaissance, le soi-disant Nick Fury, se montrait décidé à lui en donner les moyens, en se battant pour des valeurs d'avant le règne des ténèbres. Mais tout ce qu'il avait à faire, c'était de trouver l'homme aux yeux lumineux. Cet escroc qui lui avait coûté un bon plan à Fisk Lake City s'avérait bien plus puissant. Il inspirait quelque chose, et cela, Toomes en avait eu confirmation alors qu'il chassait le vieux Thomas. Quelque chose existait, une force d'inspiration et de puissance, et le nommé Ike en avait à revendre. Fury avait réussi à persuader qu'il y avait un lien entre cet homme et l'héritage de jouvence de son grand-père. Apparemment, Adrian Toomes avait été dans sa vie un vampire d'énergie humaine. Mais le lien s'arrêtait là avec Ikaris et les Eternels. Seulement Edwyn ne pouvait pas en rester pour quitte à ce sujet, et ne pouvait s'empêcher d'être fasciné par celui qui devenait un des bras droits du Caïd.
Ceux qui recherchent les héros se rendent à Hammer Falls. Ces insensés, possédés par cette folie de croire, manipulés par l'Église de Thor, se rendent à la nouvelle Jérusalem d'Amérika et dépensent tout leur argent dans les échoppes de criminels et profiteurs. Lorsqu'ils rentrent chez eux, chargés de badges des Quatre Fantastiks ou de pendentifs de marteau en fer fondu, ils ne réalisent même plus qu'ils n'ont pas obtenu ce qu'ils cherchaient, et continuent de prier bêtement en conservant une espérance formatée et non fondée, trop pris qu'ils sont par la peur de l'apocalypse. Le vieux Toomes entre dans les premiers quartiers extérieurs voués aux pélerins. Autrement dit, les boutiques de souvenirs de héros du passé, et les moins chères. Plus on est proche du Marteau, plus les magasins de peccadille sont à des prix exorbitants.
Mais en y réfléchissant bien, malgré cette aura qui fait si grande impression, celui que Toomes recherche est loin d'être un héros. Il travaille désormais pour le service royal du Caïd et s'emploie à casser des genoux, ou donner des ordres pour. Mais le petit-fils du Vautour lui-même n'était-il pas un criminel à la petite semaine ? Comme tous les indépendants, il affectait n'en prendre qu'à sa tête. Et il ressentait un étrange sentiment de sécurité. Il sentait la présence sous-jacente de Fury. Néanmoins, il avait des doutes sur la discrétion de son commanditaire, et Hammer Falls semblait plus stratégique que Fisk Lake City et son Rice-Eccles Stadium. Le Caïd maîtrisait parfaitement sa propre cité grâce aux jeux violents de son cirque criminel. Mais la ville au Marteau tenait grâce à la superstition et au contrôle implacable dû à la violence d'arrière-cour menée par le Roi du Crime envers tous les commerçants. Le commerce de l'espoir le rendait plein aux as, et tout bon citoyen de New Babylon venait au moins une fois dans sa vie prier devant le Marteau et consommer comme personne. Une ressource aussi puissante et douée de la même magie nostalgique qui anime ces lieux devrait forcément être déployée pour asseoir cette autorité. Chacun sait que la seule apparition publique du Caïd est lorsqu'il présente des exécutions ou des combats à mort dans le Stadium de Fisk Lake City. Il n'est pas connu pour quitter sa ville, donc fatalement ses lieutenants doivent se relayer. Ici à Clown Town, un gus comme Ike est nettement plus efficace qu'un porte-flingue. Surtout si le gros veut l'éloigner au cas où il mènerait une mutinerie.
Si Toomes donnait toute son attention à jeter un œil partout où un gangster pouvait être en train de faire son numéro à un vendeur apeuré, il n'avait pas besoin de faire beaucoup plus que laisser traîner ses oreilles, surtout dans les quartiers qu'il venait de traverser. A Hammer Falls, il n'y avait pas tellement de rumeur sur l'homme au regard d'or. Mais plutôt des discussions sur celui que seul Edwyn pouvait reconnaître comme son supérieur de fortune. Et son arrivée dans le quartier des touristes confirmait l'espoir que les gogos mettaient dans un certain bouclier. Le problème de cette époque, c'est que plus personne n'avait une version sûre de ces héros perdus depuis un demi-siècle. Colonel America, disaient certains. Le Super-Patriot, vendaient d'autres ; et nombre d'autres noms. Nomad, Bucky, Josiah X, Général Nuke... Probablement aucun n'était le véritable nom du personnage qui avait porté ce bouclier.
D'un seul coup d'œil, Toomes remarqua dans la foule l'homme qui ressemblait à Fury. C'était même plutôt un jeune garçon, et sa manière de se déplacer était bizarre pour l'œil aiguisé de notre rapace chauve. Comme s'il marchait en apesanteur. Edwyn n'avait jamais vu quelqu'un être aussi peu tenu par la gravité, de manière décelable mais vraiment difficile à confirmer. Il se dit que c'était peut-être un artiste urbain, mais apparemment pas en activité. Il ne jouait pas les acteurs de rue ou les statues vivantes. Edwyn aurait peut-être une occasion d'en apprendre un peu sur l'homme avec qui il travaillait pour le moment. Car, il en était sûr, ce Mutant ou être atypique jouait le rôle de M. Fury.
"Hé, petit, combien pour ton numéro de performance ?"
Le vieux charognard, en armure sous son grand manteau, avait hélé le jeune homme qui portait un cache-œil. Il s'attendait à un petit spectacle sur le thème de celui qui avait été Nick Fury à l'époque connue par Ike. Car c'était sûr, Ike avait connu un Nick Fury avant d'être ici. Et il était possible que cette époque ait été celle du vieil Adrian, celle exploitée par le Caïd et ses marchands du temple.